Les émotions
Pour la même raison qui nous pousse à examiner nos ressentiments, nous devons aussi examiner nos émotions. Cela nous aidera à découvrir le rôle que nous jouons dans notre propre vie. En outre, au moment de devenir abstinents, la plupart d’entre nous ne savent plus ce qu’ils ressentent. Quant à ceux qui sont en rétablissement depuis un certain temps, cela leur donne l’occasion d’en apprendre encore sur les façons dont ils étouffaient leurs émotions.
Afin de m’aider dans mon travail, je me suis adossé au concept suivant :
ROUE DES ÉMOTIONS DE PLUTCHIK (*)
Robert Plutchik (1927-2006) était un professeur et un psychologue américain. Il a créé une roue des émotions pour illustrer diverses émotions motivatrices et nuancées. Il a proposé son modèle circomplexe en trois dimensions et son modèle de roue en deux dimensions en 1980 pour décrire les relations entre ces émotions.
Plutchik y propose ses huit émotions de base ou fondamentales (la peur, la colère, la joie, la tristesse, la confiance, le dégoût, l’anticipation et la surprise, dont leurs fonctions respectives seraient la protection, la destruction, la reproduction, la réintégration, l’incorporation, le rejet, l’exploration et l’orientation) en paires d’opposés : la joie et la tristesse, la peur et la colère, le dégoût et la confiance, la surprise et l’anticipation.
De plus, il y combine l’idée d’un cercle des émotions et celle d’une palette de couleurs. Comme ces dernières, les émotions de base peuvent s’exprimer à divers degrés d’intensité et se combiner l’une à l’autre pour former des émotions différentes.
C’est ainsi que Plutchik est venu à définir les dyades primaires (combinaisons de deux émotions de base adjacentes), secondaires (combinaisons d’émotions de base voisines à une émotion près) et tertiaires (combinaisons d’émotions de base voisines à deux émotions près) qui suivent :
Dyades primaires | Résultats | Dyades secondaires | Résultats | Dyades tertiaires | Résultats |
Joie et confiance | Amour | Joie et peur | Culpabilité | Joie et surprise | Ravissement |
Confiance et peur | Soumission | Confiance et surprise | Curiosité | Confiance et tristesse | Fadeur |
Peur et surprise | Crainte | Peur et tristesse | Désespoir | Peur et dégoût | Honte |
Surprise et tristesse | Désappointement | Surprise et dégoût | Horreur | Surprise et colère | Indignation |
Tristesse et dégoût | Remords | Tristesse et colère | Envie | Tristesse et anticipation | Pessimisme |
Dégoût et colère | Mépris | Dégoût et anticipation | Cynisme | Dégoût et joie | Morbidité |
Colère et anticipation | Agressivité | Colère et joie | Fierté | Colère et confiance | Domination |
Anticipation et joie | Optimisme | Anticipation et confiance | Fatalisme | Anticipation et peur | Anxiété |
(*) Extrait de l’article de wikipédia consacré à Robert Plutchik
REVENONS AU TRAVAIL DE LA QUATRIEME ETAPE !
De quelle façon est-ce que j’identifie mes propres émotions ?
Mes propres émotions représentent en partie ce qui me différencie d’une plante verte ou d’une matière inerte. Plus sérieusement, elles représente l’essence de la sensibilité de l’organisme vivant que je suis. J’identifie mes propres émotions lorsqu’elles se manifestent excessivement à moi-même. Dans ces circonstances, elles deviennent visibles, palpables, identifiables. Ces manifestations peuvent être violentes et difficile à gérer. La tentative de “calibrer” l’émotion peut entraîner des dérives telles que la dépendance active. A la base, trop (ou trop peu) de peur, trop (ou trop peu) de colère peuvent rendre l’émotion insupportable. D’où la recherche de moyen de contrôle.
Quelles émotions est-ce que je m’autorise le moins à ressentir ?
Je m’autorise le moins à ressentir, selon la cartographie de Plutchik, les émotions liées au dégoût et à la confiance. Je remarque que ces émotions sont diamétralement opposées et respectivement associé à l’aversion et l’admiration.
Pourquoi ai-je essayé d’étouffer mes émotions ?
Ma sensibilité est telle que mes émotions peuvent me submerger. Dans ces conditions, trouver la bonne distance pour les vivres n’a pas toujours été aisé et l’expérience a pu s’avérer douloureuse. D’où la tentative d’essayer d’étouffer mes émotions.
Quelles moyens ai-je utilisés pour nier ce que je ressentais réellement ?
La consommation de produits modifiant le comportement était principalement pour moi le moyen de nier ce que je ressentais. Ce n’est pourtant qu’un moyen parmi tant d’autres. Mes autres stratégies d’évitements sont innombrables : procrastination, mensonge, perfectionnisme, déni, rêverie…
Qui ou qu’est-ce qui déclenchait une émotion ? Quelle était cette émotion ? Quelles étaient les situations ? Quel était mon rôle dans chaque situation ?
(*) Je réponds en m’adossant à la liste des émotions définie dans “la roue des émotions de Plutchik”
N° | Déclencheur | Emotion | Situation | Rôle personnel |
1 | Mon père | Peur | Dans toutes les situations (peur + ou – intense) | Victime, souffre douleur, bouc émissaire |
2 | Le manque de drogue | La “redescente” des produits | Consommateur de produits subissant un sevrage | |
3 | Le risque d’être pris | Actions illégales | Auteur de larcins, de délits | |
4 | Le conflit, la baston | L’opposition à un tiers (institutions, personnes) | Mes provocations, ma forte tête, mon insoumission | |
5 | Frustration | Colère | La maltraitance familial | Libération du refoulement de la maltraitance |
6 | Être abusé, trompé ou manipulé par autrui | Confiance mal placé (personne, situation) | ||
7 | Lorsque les choses ne se passent pas comme prévu | Tenter de contrôler | ||
8 | Revers de situation | Surprise | Mon licenciement | Instabilité, inconsistance, irresponsabilité |
9 | Tout le monde | Anticipation | Dans toutes les situations, je me défile, je me dérobe | Instinct de protection, indépendance, isolement |
10 | Toutes les situations | Dans toutes les situations, je prépare l’issue possible | Tenter de minimiser le risque par le contrôle | |
11 | Négligence parentale | Tristesse | D’être abandonné à moi-même au sein de ma famille | Mal-aimé, délaissé, bon à rien |
12 | Sentiment de solitude | Isolement social et/ou psychologique | En dehors des normes, spleen, mélancolie | |
13 | La drogue | Joie | A l’approche d’un moment de consommation | Réponse à l’envie, libération du manque |
14 | Le sentiment amoureux | Le début de la relation | Conquête d’une nouvelle petite amie | |
15 | La réussite | Examen, promotion, défis | Aller de l’avant, dépasser mes limites | |
16 | Toutes formes d’autorités | Dégoût | Dans tous les rapports de force, contraintes | Révolte |
17 | Conscience de Dieu | Confiance | Lorsque j’ai un contact conscient avec Dieu | M’en remettre |
18 | Fraternité NA | M’impliquer dans mon programme en 12 étapes | Me rétablir de la dépendance |
Quelles étaient dans ces situations, la motivation ou le mode de pensée qui m’amenait à agir de la sorte ?
(*) Je reprends les notations (1, 2, 3…) du tableau précédent
- J’étais stressé, apeuré et/ou terrorisé quelques soient les situations vécues avec mon père.
- J’étais stressé, angoissé et/ou désespéré quelque soit la “redescente” des produits.
- D’avoir été livré à moi-même m’a souvent conduit à me débrouiller. Cette “débrouille” flirte toujours plus ou moins avec la l’égalité en se tenant en marge des codes sociaux traditionnels. Dans ces situations, que cela soit pour obtenir les moyens d’acheter de la drogue ou non, le risque d’être pris entraîne souvent la peur.
- Vivre c’est aussi se confronter aux autres. Durant l’enfance et l’adolescence cela peut se traduire par des bagarres. Dans ces situations, la peur tiraille souvent le ventre.
- Mon impuissance à pouvoir réagir à la situation engendrait de la frustration qui engendrait de la colère.
- Dans une situation d’abus de confiance la frustration et la colère ne sont jamais bien loin. Se mêle alors le fait de m’en vouloir de ma naïveté et le désir de vengeance.
- Lorsque les choses ne se passent pas comme prévu je peux être agacé de mon manque de maîtrise, de mon impuissance et devenir colérique si je ne parviens pas à dépasser le sujet mais plutôt si celui-ci devient obsessionnel et compulsif.
- La consommation m’accaparait de plus en plus (chercher de la drogue, en obtenir davantage, récupérer, me sortir des ornières, mentir…) au détriment de la réalité.
- J’ai toujours été seul, livré à moi-même. J’ai été maltraité par les personnes qui auraient dû prendre soin de moi. Je n’ai du coup pas spontanément confiance dans les autres. Je me protège donc instinctivement de mon environnement social notamment par la dérobade et la fuite.
- L’instabilité émotionnelle engendré par la perte de la maîtrise d’une situation m’a toujours fait exagérément anticiper les événements.
- D’être livré à moi-même me faisait me sentir abandonné, seul au monde et m’envahissait d’une profonde tristesse
- De me sentir isolé socialement (négligence familiale, exclusion d’un groupe, écart à la normalité) m’a infligé mes plus grandes tristesse. Ce sentiment de solitude, de mise à l’écart et d’exclusion m’empêchant de me fédérer à un groupe et d’exister mais soulignant plutôt la vacuité de mon existence.
- La perspective de la jouissance à venir de la prise de drogue me rendait joyeux, euphorique, exalté.
- Le sentiment amoureux a toujours suscité de la joie chez moi. Parvenir à être aimé de quelqu’un me rendait heureux. Comme si tout se figeait autour de moi durant ce moment de grâce.
- Réussir une épreuve (examen, promotion, défi) me procure un sentiment de joie par l’aboutissement heureux d’une période d’efforts.
- D’être livré à moi-même (enfant sauvage), maltraité (révolte, colère) et confronté au suicide de mon père à l’adolescence (le tyran est mort, mort aux tyrans!) m’ont rendu défiant de toutes formes d’autorités.
- La culpabilité ressenti de la maltraitance et le vide sidéral laissé par mon enfance m’ont spontanément tourné vers une quête de sens (introspection, philosophie, spiritualité…). Cette recherche m’a conduit à la prise de conscience de Dieu.
- L’espoir qu’a fait naître la fraternité (le programme) dans la nuit de la dépendance a installé progressivement la confiance en rompant l’isolement, par l’identification et la perspective de rétablissement.
Que fais-je de mes émotions après les avoir identifiées ?
Me rétablir de la dépendance signifie aujourd’hui d’apprendre à accueillir mes émotions. Mon programme de rétablissement (réunions, parrainage, travail des étapes…) m’aident à les appréhender avec mesure. Il ne s’agit plus de tenter de les contrôler par une consommation de produits modifiant le comportement (ou par une autre stratégie d’évitement) mais bien de créer les conditions d’une vie saine pour les accueillir et les vivre : spiritualité, méditation…
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